Missionnaires jésuites, « pionniers de l’écologie »

Écologie ante litteram dans les ressources des Archives romaines de la Compagnie de Jésus

Par Robert Danieluk, SJ | ARSI (Archivum Romanum Societatis Iesu) - Curie Générale
[Tiré de la publication « Jésuites 2024 - La Compagnie de Jésus dans le monde »]

Un regard particulier sur le travail de recherche des missionnaires jésuites qui étudiaient la nature là où ils étaient envoyés.

Regarder comment Dieu habite dans les créatures : dans les éléments en leur donnant l’être, dans les plantes en leur donnant la vie, dans les animaux en leur donnant de sentir, dans les hommes en leur donnant de comprendre [...].

Exercices Spirituels 235

Il ne semble pas étonnant que le terme « écologie » n’apparaisse ni dans les lettres de saint Ignace ni dans d’autres écrits des jésuites du passé. Cependant, certains documents conservés dans les Archives romaines de la Compagnie de Jésus témoignent de l’intérêt que plusieurs jésuites avaient pour la question, ce qui justifie d’ailleurs le titre donné à cet article. Notre objectif est de présenter brièvement quelques-uns de ces écrits.

Lorsque les premiers compagnons ont commencé à voyager plus souvent pour mener à bien les missions que l’Église leur confiait, l’une des priorités du fondateur de la Compagnie a été de préserver l’unité dans le Seigneur de tous ses amis. Très vite, le besoin d’assurer une administration efficace de l’Ordre religieux vint se rajouter à ce souci ; en effet, le nombre des membres grandissait à vue d’œil.

Dès le départ, Ignace a conseillé de mettre en place une mesure concrète : maintenir une correspondance écrite systématique. Certaines recommandations ont régulé cette correspondance jusqu’à ce qu’en 1850 paraisse la Formula scribendi, qui était tout simplement une instruction courte mais suffisamment détaillée sur la manière dont la correspondance officielle des jésuites devait être maniée.

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L’historiographie ne manque pas d’exemples sur la manière dont ces recommandations ont été mises en œuvre. Parmi les documents conservés à l’Archivum Romanum Societatis Iesu, certains témoignent de l’intérêt de leurs auteurs pour des sciences telles que la botanique ou la zoologie. Nous nous arrêterons seulement sur deux exemples.

Le jésuite polonais Michał Piotr Boym (1612-1659), dont l’entrée à la Compagnie date de 1631, est envoyé en Chine en 1643. En route, il est contraint de s’arrêter pendant de longues périodes dans différents endroits de la côte orientale africaine. (Ceci était commun pour les voyageurs qui naviguaient de Lisbonne à Goa ; avant de poursuivre vers l’Est, ils devaient faire des arrêts entre l’embouchure du Zambèze et les territoires de l’actuel Mozambique). Bloqué donc sur les terres du continent noir malgré lui, ce curieux jésuite va découvrir un monde radicalement différent de celui de son pays d’origine et même de l’Europe en général. Parmi les choses qui vont le surprendre se trouvent la flore et la faune des régions où il est obligé de s’arrêter un temps. Il en est tellement impressionné qu’il entreprend de laisser une trace écrite de ce qu’il voit. Ainsi, dans l’un des rapports qu’il envoie à Rome, Boym ne se limite pas à décrire ce qu’il a vu, mais il réalise aussi quelques dessins qui sont heureusement parvenus jusqu’à nous. Sur une série de cinq aquarelles, il dessine quelques plantes étonnantes, comme l’anacardier et l’ananas. Il fera également deux superbes croquis d’hippopotames.

Cependant, le père Boym ne restera pas longtemps en Afrique. Il reprend la route et arrive en Chine après avoir traversé l’Inde, se montrant toujours aussi attentif à ce qui l’entoure. Beaucoup de ses observations ont été réunies dans une œuvre connue par les érudits comme Flora Sinensis, et qui lui vaudra une célébrité tardive. Mais ceci sera dû également à la mission diplomatique que lui confiera la cour de Ming auprès de l’Europe. Il sera chargé de porter personnellement jusqu’à Rome les lettres de l’impératrice de Chine, rédigées sur de la soie ; l’une pour le Pape, l’autre pour le Général des jésuites. Ces lettres figurent parmi les trésors de plus grande valeur des Archives apostoliques du Vatican et des Archives romaines de la Compagnie de Jésus.

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Mais revenons à nos moutons. Boym ne fut pas le seul jésuite à fournir ce genre de rapports. Le siècle suivant, l’espagnol José Sánchez Labrador (1717-1798), jésuite depuis 1732 et missionnaire en Amérique du Sud de 1734 à 1767, allait rédiger une grande œuvre sur le Paraguay après son exil en Italie, œuvre dont seulement une partie sera publiée. Parmi les manuscrits conservés à Rome, on trouve de nombreux dessins de plantes et d’animaux qu’il avait observés pendant le temps de ses missions. Aux côtés des plantes plus connues comme le tabac ou le cacao, se trouvent de nombreuses autres espèces d’oiseaux, de poissons, de reptiles et d’insectes. Certaines espèces sont communes et facilement repérables même aujourd’hui (du moins en Europe), comme la mouette, mais d’autres seraient tout à fait surprenantes pour la plupart d’entre nous.

Boym et Sanchez Labrador sont seulement deux jésuites parmi le grand nombre de membres de la Compagnie de Jésus qui ont décrit et dessiné la flore et la faune des territoires où ils étaient envoyés en mission. Si les œuvres de ces jésuites ont acquis une renommée en Europe cela est dû à leur importance scientifique, même dans le domaine de la médecine, puisque la diffusion des connaissances concernant certaines plantes comme la quinine, le maté ou le curare ont eu des effets durables.

Il serait pourtant légitime de se demander pourquoi ce type de documents sont présents dans les archives jésuites. Certains que les missionnaires des siècles passés avaient beaucoup à faire, il est impossible d’imaginer qu’ils rédigeaient ce genre de rapports par oisiveté. Au contraire, la raison est à trouver dans les instructions mêmes de saint Ignace que nous évoquions au début de cet article : à plusieurs reprises, Ignace et ses collaborateurs et successeurs, ont demandé aux jésuites partis en mission en dehors de l’Europe d’envoyer des informations sur les régions qu’ils découvraient. Sans doute voulaient-ils que ces informations puissent être connues de leurs compagnons ainsi que d’autres lecteurs curieux. Cela servait aussi à faire la publicité des missions et pouvait être un outil très efficace pour la promotion des vocations.

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Publié par Communications Office - Editor in Curia Generalizia
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Le Service des communications de la Curie générale publie des nouvelles d’intérêt international sur le gouvernement central de la Compagnie de Jésus et sur les engagements des jésuites et de leurs partenaires. Il assure aussi les relations avec les médias.

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